News

This page is available in the following languages:  EN FR
Position de FIT Europe concernant le projet de Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP)

Position de FIT Europe concernant le projet de Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP)

I. Introduction

Le TTIP est un projet de partenariat souhaitant faire de l’Europe et des États-Unis d’Amérique un seul grand marché totalement ouvert, exempt d’obstacles douaniers, procéduriers ou réglementaires, pour les flux de produits, de services et de capitaux. Ce partenariat, dont les tenants du libéralisme total et de la dérégulation des marchés, maison blanche et commission européenne en tête, promettent des effets bénéfiques sur la croissance, l’emploi et le revenu des ménages des deux régions par-delà l’Atlantique, est fortement contesté, justement quant à ces effets, par la société civile, notamment par les syndicats, les associations professionnelles et une bonne partie du monde académique et politique. Le 10ème tour de négociations aura lieu à Bruxelles du 13 au 17 juillet 2015, où le point focal concernera le secteur des services. L’UE y présentera notamment un texte sur sa conception du commerce et du développement durable/travail/environnement.

II. Oppositions

Les opposants au TTIP lui reprochent plusieurs choses :

  • La commission présente trois études prétendument indépendantes dont la modélisation donnerait pour l’Europe, dans le meilleur des cas, un accroissement extrêmement limité de l’emploi et du PIB après 10 ans. Mais ces études se basent toutes trois sur la même méthodologie de modélisation (Computable General Equilibrium model), qui ne tient pas compte des effets du chômage ni des flux financiers. Une étude indépendante réalisée par la TUFT university (USA), qui tient compte de ces paramètres, donne un résultat total nettement négatif sur le PIB (de l’ordre de -0,40% en 10 ans) et sur l’emploi en Europe (perte de 583.000 postes de travail).

  • Une telle dérégulation mènerait à un nivellement normatif vers le bas, au détriment de la protection des consommateurs, de l’environnement, des droits du travail, des systèmes publics d’éducation, etc.

  • Dans son principe, le partenariat viserait à annihiler le « principe de précaution » cher à l’Europe et de reporter la charge de la preuve de la nocivité sur les victimes. Les défenseurs du projet affirment que des garde-fous seront établis notamment en matière d’environnement, de santé, d’exception culturelle, etc., mais rien ne garantit que de tels garde-fous soient mis en place et effectifs.

  • Ce partenariat ferait défaut du principe de réciprocité, par lequel des états et des groupements d’intérêt de la société civile pourraient se plaindre auprès de l’instance arbitrale (investor-state dispute resolution - ISDR) des menaces portées par des multinationales contre leurs intérêts légitimes, tels la sauvegarde du patrimoine culturel (voir Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle, 2001, notamment en matière linguistique).

  • Les négociations sont entourées du plus grand secret. Ainsi est-il interdit de copier ne fût-ce que des extraits du volumineux dossier de négociation (plus de 15.000 pages). Cependant la Commission se veut rassurante en établissant des objectifs, notamment de protection des services publics, et en publiant des rapports de négociations en termes très généraux.

  • Les principes du contrôle démocratique ne seraient pas respectés à plusieurs égards :

    • Absence de transparence sur des négociations secrètes entre fonctionnaires et diplomates non élus démocratiquement, dont les résultats s’imposeront à tous sous la pression des institutions.
    • Une fois le partenariat approuvé par les parlements nationaux, la liste des produits et services concernés pourrait être complétée par un « Conseil » du TTIP sans plus passer par la ratification parlementaire. Ce conseil est composé principalement des représentants de l’industrie et d’experts, la société civile y étant totalement sous-représentée.
    • Les litiges entre états et multinationales seraient réglés par une instance arbitrale nommée par le Conseil TTIP, sans aucune validation démocratique et sans garantie de neutralité. Cette cour pourra infliger à un état des amendes de plusieurs milliards d’euros sans recours possible. Il va sans dire que ces amendes seraient payées aux multinationales par les contribuables.
  • S’il est vrai que les flux financiers et commerciaux se trouveraient renforcés entre l’Europe et les USA, il apparaîtrait aussi que ceci se ferait au détriment du négoce intra-européen, qui serait réduit dans une proportion équivalente. Ce partenariat aurait donc inéluctablement pour conséquence de réduire l’intégration économique européenne (de -25 à -41% d’exportations intra-européennes en 2025 selon CEPR et CEPII), ce qui est contraire à sa raison d’être.

  • La dérégulation totale des flux de capitaux augmenterait de manière significative la probabilité que se répète la crise financière de 2008.

  • Quand bien même le TTIP permettrait d’augmenter le PIB des deux côtés de l’Atlantique, cela se ferait par une forte augmentation des revenus financiers au détriment des revenus du travail, ce qui reviendrait de toute façon à pénaliser le travail et à augmenter la pauvreté. Des « partenariats de libre échange » similaires, par exemple entre le Mexique et les USA, ont d’ailleurs montré que ces traités désavantagent toujours le partenaire le plus faible.

III. Dangers pour les traducteurs et les interprètes en Europe

On peut craindre que le TTIP diminue encore plus le revenu des ménages en Europe et, partant, la consommation intérieure en Union européenne. Il en découlerait une aggravation de la crise économique, qui se répercuterait également sur le volume de travail des traducteurs et des interprètes.

D’autre part, si les bénéfices du TTIP sont loin d’être établis pour les PME, ils seront tout à fait inexistants pour les professions libérales et intellectuelles, qui seront au contraire menacées par un nombre croissant d’intermédiaires qui contrôleraient les marchés grâce à leur puissance économique écrasante par rapport à celle des prestataires.

En outre, la dérégulation risque de porter préjudice aux traducteurs et interprètes assermentés qui, tout autant que leurs registres, deviendraient inutiles avec l’émergence d’agences qui se rueraient sur ce marché en écrasant les prix au détriment des prestataires et de leurs qualifications. Le profit primerait dès lors sur la qualité du service public et sur les droits du justiciable, comme cela a été le cas au R.U. suite à l’attribution par marché public de tout le volume de traduction et d’interprétation judiciaire à une société de traduction.

Par ailleurs l’installation facilitée de sociétés de traduction et d’interprétation, travaillant sur place ou à distance, renforcerait la pression déjà insoutenable sur les prix.

IV. Conclusion

Pour FIT-Europe un tel partenariat ne serait acceptable que

  • si le TTIP permet une augmentation significative de la part des revenus du travail dans les PIB, par rapport aux revenus financiers, plutôt que le contraire.
  • si le TTIP contribue à augmenter le revenu réel moyen des ménages en favorisant les emplois stables plutôt que le précariat.
  • si l’Europe préserve son identité culturelle et son système de justice ainsi que sa protection sociale, de la santé et de l’environnement.
  • si le TTIP est ouvert au contrôle démocratique depuis sa conception jusqu’à sa mise en œuvre, avec notamment la mise en place d’un organe de surveillance neutre qui suivra continuellement les effets économiques, sur l’emploi, sur le niveau de vie et sur l’environnement.
  • si le TTIP détermine les produits et services ouverts au libre-échange dans le cadre d’une liste positive.
  • si le TTIP inclut un système efficace de règles et de contrôles des flux financiers, notamment en établissant un pare-feu entre les flux d’investissements réels et les flux spéculatifs.
  • si le TTIP permet aux états et aux groupements d’intérêts de se faire dédommager contre les abus des acteurs multinationaux.
  • si les règles de contrôle démocratique sont instituées à tous les niveaux, et notamment :

    • transparence totale des négociations
    • concertation avec les états et la société civile quant aux domaines de produits et services à exempter du partenariat
    • charge de la preuve chez le plaignant
    • nomination démocratique du Conseil TTIP et de la composition de la cour arbitrale
    • possibilité d’appel
    • ratification des avenants.

Sources